Par Serge Cortesi
Historique de la marque
Fondé par Jean Gervoson et Alexandre le Berrigaud après la Seconde Guerre mondiale, le groupe Andros est une entreprise familiale. La marque Bonne Maman, spécialisée dans la confiture, est créée en 1971 par Jean Gervoson et sa femme Suzanne. Le groupe possède les marques Andros, Bonne Maman, Mamie Nova et Pierrot Gourmand.
Contexte du projet
Au cours de l’année 2003, je suis questionné sur l’éventualité d’une création de fonte typographique pour Bonne Maman, marque de confitures bien connue. Son identité repose sur un principe qui est resté le même depuis son origine : le pot en verre à la forme traditionnelle, le couvercle au motif de la toile Vichy d’autrefois et l’étiquette blanche avec une calligraphie comme tracée à la plume. En 1997, elle se diversifie avec les biscuits, puis en 2008, se lance dans les desserts. La croissance exponentielle des produits et sa présence dans de nombreux pays causent des difficultés dans la déclinaison de son identité.
En effet, les étiquettes calligraphiées sont composées par de multiples prestataires (studios, agences) chargés de s’en occuper. La première étape consiste à recenser et à analyser l’ensemble des étiquettes, pour ensuite imaginer la bonne stratégie à adopter.
Analyse de l’existant
On me propose de voir s’il est possible de sélectionner le nectar de chacune des lettres afin de créer une police de caractères. Ainsi, je récolte les étiquettes de provenances variées, je les classe puis les compare… et le constat est sans appel : il y a une grande disparité dans les styles des calligraphies. La raison est que les étiquettes sont créées de façon manuelle par des graphistes, mais il n’y a pas vraiment de modèle prédéfini ni de charte graphique précise. En conséquence, les noms de produits sont calligraphiés par des mains différentes ou bien composées à l’aide de polices d’ordinateurs aux formes plus ou moins approchantes. Globalement, cette manière de faire artisanale a fonctionné tant qu’il n’y avait que les pots de confitures à marquer. Mais avec la multiplication des produits et l’internationalisation, ce mélange hétérogène risque d’affaiblir l’image de marque. C’est pourquoi le recours à une fonte spécifique et exclusive est nécessaire afin de consolider l’identité visuelle.
Résolution
Dès lors, il faut trouver une autre approche pour résoudre ce problème. Bien entendu, il faut respecter le principe originel, c’est-à-dire une écriture tracée à la plume. Mais quel type d’écriture ? Sachant qu’il n’y a pas vraiment de ligne graphique précise. Le seul élément incontestable est le logotype Bonne Maman dont le dessin est issu d’un tracé calligraphique. Je propose alors d’élaborer un alphabet avec le logotype comme matrice.
En haut le logotype Bonne Maman original.
En bas, version calligraphiée à l'aide d'un feutre.
Mise en œuvre
Pour démarrer les recherches, j’imprime le logotype Bonne Maman, que je mets en évidence sur mon bureau, à proximité de mon regard afin de m’en imprégner. Partant de là, je procède de la même façon que pour un spécimen calligraphique classique. Je teste quelques outils puis commence à écrire en essayant de m’approcher des formes et des proportions du logotype. Après quelques essais, le feutre de calligraphie à bout plat produit le meilleur résultat. En effet, l’outil restitue parfaitement les pleins et déliés, et sa matière permet un toucher très doux. Dès lors, je remplis des pages d’écriture…
La première étape consiste à calligraphier du texte en minuscules afin de trouver un bon rythme. Au fur et à mesure j’introduis des majuscules et tous les autres signes (ponctuations, chiffres, accents…). Il faut une écriture appliquée, mais pas trop savante.
Sélection
Après avoir calligraphié quelques pages, il est temps de sélectionner toutes les lettres en prévision de la création de la fonte. Pour cela, il faut suffisamment de matière pour choisir les signes les plus probants.
Échantillon de lettres sélectionnnées puis agrandies en prévision du dessin.
Dessin
À partir de là s’engage le processus de dessin. En effet, la matière brute de la calligraphie ne suffit pas pour finaliser la police de caractères. On constate à l’agrandissement, par exemple, certaines formes trop lourdes ou bien des terminaisons trop tranchantes… Bref, il y a un affinage à apporter par le dessin, mais surtout cette étape sert à donner un style. Étape délicate, car il faut faire attention à ne pas aller trop loin pour conserver l’intention de départ et la « fraîcheur » de l’écriture.
1. Dessin au crayon noir sur calque
2. Lettres noircies au feutre sur calque
Dessin des capitales et des chiffres
Vectorisation
L’étape de dessin terminée, il faut passer à la vectorisation informatique. Pour cela, je scanne les dessins noircis, puis j’entreprends la vectorisation des signes. Les lettres vectorisées sont ensuite importées dans un logiciel de création de caractères.
Fenêtre caractéristique d’une lettre dans le logiciel de création de caractère.
On peut voir sur ce visuel la lettre tracée par des courbes de Bézier. Ces courbes sont situées entre des points pourvus de poignées qui permettent leur contrôle.
Cette fenêtre affiche toutes les indications techniques nécessaires, par exemple les approches (espaces situées de part et d’autre de la lettre).
La fonte Bonne Maman est une écriture dont les lettres sont liées les unes aux autres. Il fallait donc prévoir une « zone » de raccordement et faire en sorte que ces liaisons soient naturelles.
La fonte Bonne Maman
Application de la typographie sur les emballages
La fonte Bonne Maman contient tous les signes essentiels pour composer du texte, mais, s’agissant d’une fonte basée sur une calligraphie tracée à la plume, j’ai proposé de créer des variantes de lettres. Ces lettres se placent en début, milieu ou fin de mot et l’intention est purement esthétique. L’envolée d’un trait, l’ajout d’une boucle ou d’une ligature (trait décoratif qui relie deux lettres) apportent de la diversité et souligne la poésie que peut amener la main qui court sur le papier. Cette option n’a pas été retenue, car le client avait des craintes quant à son application à bon escient. En effet, ces options doivent être appliquées avec justesse et parcimonie, sinon le risque est d’obtenir l’inverse de l’effet recherché, surtout quand le nombre des intervenants et prestataires est important.